LETTRE OUVERTE du 27 novembre 2016 A Monsieur le Président de la République

Publié le 1 Décembre 2016

Le terme « handicap » n'est pas un synonyme du terme « déficience » mais comme le stipule très clairement l'OMS depuis 2001, « le handicap est l'interaction entre des sujets présentant une affection médicale et des facteurs personnels et environnementaux (par exemple, attitudes négatives, moyens de transport et bâtiments publics inaccessibles, et soutiens sociaux limités) ».

Ainsi, les facteurs environnementaux, c'est-à-dire les facteurs architecturaux, culturels, sociaux, législatifs et réglementaires, et donc les décisions politiques qui sont à leur origine, peuvent être facilitateurs ou au contraire peuvent constituer des obstacles gênant ou interdisant de fait la mobilité et la citoyenneté des personnes handicapées. Par conséquent, la politique menée peut soit réduire ou compenser, soit accroître les « situations de handicap » vécues au quotidien par plusieurs millions de nos concitoyens. De ce point de vue, nous sommes frappés de constater, et donc de devoir dénoncer, les politiques exercées notamment depuis dix ans et a fortiori depuis trois ans, qui conduisent à la multiplication de nouvelles situations de handicap dans certains cas, ou à leur aggravation dans d'autres cas.

Accessibilité

L'autonomie des personnes est considérablement freinée via l'Ordonnance du 26

septembre 2014 ratifiée par la loi du 5 août 2015.

D’une part, elle permet aux établissements recevant le public (ERP), publics ou privés existants et neufs créés dans un cadre bâti existant, de bénéficier quotidiennement de dérogations de complaisance qui leur permettent d'échapper à l'obligation de mise en accessibilité, souvent même en violant les normes légales en termes de sécurité. D'autre part, elle met fin à la continuité de la chaîne de déplacements avec une mise en accessibilité limitée aux seuls arrêts de transports dits prioritaires : demain, aurons-nous encore le droit de vivre en zones non denses (rurales,...) ?

Troisième régression, elle autorise les promoteurs à ne plus prévoir de douches sans

seuil, ni de balcons à seuil surbaissé pour l’habitat neuf. Ainsi, les seuls apports nouveaux de la loi du 11 février 2005 ont eux aussi été sacrifié  sous la pression de puissants lobbies.

L’inconséquence dramatique des Pouvoirs Publics en matière de sécurité

Nous attendons depuis cinq ans et toujours à l’heure de cette lettre, le traitement d’une aberration majeure en matière de sécurité des personnes, ceci en dépit de l’avis du Conseil d’Etat relatif aux sas de protection début 2016. Un tel report est inconcevable, qui plus est à l’aube d’une période électorale peu propice à la promulgation de textes réglementaires. Or, la conception des sas est tributaire du gros œuvre, ce qui sous entend qu’un sas contrevenant aux règles de sécurité le restera tout au long de la vie de l’immeuble et pourrait conduire, au premier accident, à une interdiction d’accès des locaux protégés par de tels sas aux personnes contraintes à se déplacer en fauteuil roulant puisque leur sécurité n’y serait pas assurée.

Compensation

En matière de compensation du handicap, sous couvert de réduire les inégalités de traitement entre les départements et de mieux ajuster les réponses aux besoins des personnes, par des moyens technocratiques bafouant la dignité des personnes concernées et la réalité de leurs besoins, des dispositions sont prises ou envisagées, remettant gravement en cause l’autonomie des personnes, ce au mépris des principes fondamentaux de la loi du 11 février 2005 (« participation et citoyenneté des personnes handicapées », colonne vertébrale de la volonté du législateur.)

Une convergence au rabais

L’article L.149-4 du code de l’action sociale et des familles créé par l’article 82 de la loi d’adaptation de la société au vieillissement définit la maison départementale de l’autonomie (MDA) comme un type d’organisation que les Conseils Départementaux peuvent mettre en place pour mettre en commun les missions d’accueil,d’information, de conseil et d’orientation, et le cas échéant d’instruction des demandes, d’évaluation des besoins et d’élaboration des plans d’aide, au profit des personnes âgées et des personnes handicapées. Or, le contexte de restrictions budgétaires fait que cette mise en commun des Équipes Pluridisciplinaires semble correspondre davantage à une « optimisation » des moyens (faire plus avec moins) qu’à une véritable politique pour une Vie Autonome des personnes dépendantes quelque soit l’âge. Force est de constater en effet que les MDPH n’ont déjà pas suffisamment de moyens pour appliquer les procédures réglementaires permettant un débat contradictoire, et des décisions motivées.

Toutes les MDPH n’établissent pas et n’adressent pas un Plan Personnalisé de

Compensation (PPC) aux demandeurs, ne leur font pas connaître leurs droits à

venir, ni leur droit à défendre leur dossier devant la Commission des Droits et de

l’Autonomie (CDAPH) contrairement aux dispositions de l'article L. 241-7 de la loi du 11 février 2005, le tout assorti de délais de traitement des dossiers non conformes à la réglementation.

Un guide d’appui aux évaluations d’aide humaine illégal et déshumanisant

Nos Associations demandent depuis plusieurs années la prise en compte dans la compensation du handicap des activités ménagères, de l’aide à la parentalité, et des aides à la communication, sans lesquels les actes dits essentiels ne peuvent être accomplis (comment nourrir quelqu’un si l’on ne lui prépare pas le repas ?)

Ceci non seulement en vain, mais nous sommes alarmés de surcroît par une diminution drastique du nombre d’heures d’aide humaine accordée lors des renouvellements de dossiers de PCH, mettant en péril l’équilibre de toute une vie à

partir de chez soi.

Nous avons fini par découvrir la mise en œuvre en 2016 dans un certain nombre de

départements, d’un « outil à destination des professionnels d'aide à la décision », et plus précisément encore « d'aide à la détermination des temps d'aide humaine pour les actes essentiels pouvant être attribuée au titre de la Prestation de compensation du handicap (PCH) ». Ce document, intitulé « Appui aux pratiques des équipes pluridisciplinaires de MDPH - Guide PCH aide humaine », a été élaboré en catimini par des représentants ministériels, des cadres de la CNSA, et des représentants des MDPH en 2013.

Soi-disant en phase expérimentale, il est largement appliqué et dans une opacité

totale, les membres des CDAPH et les victimes-cobayes ignorant tout des

nouvelles bases sur lesquelles les besoins ont été évalués.

Ce guide d’appui est en contravention avec le référentiel d’accès à la PCH,

l’annexe 2-5 du Code de l’Action Sociale et des Familles, texte réglementaire en

vigueur qui lui-même déjà limite la portée de la loi de 2005, loi qui promettait aux

personnes la compensation intégrale de leur handicap.

Comment un document censé assurer l’équité de traitement peut-il aboutir, de fait, à

réduire les heures d’aide humaine, certes au bénéfice des budgets des Départements, mais au détriment d’une Vie Autonome des personnes handicapées

?

Comment les concepteurs de ce guide peuvent-ils bafouer sans barguigner l’article

L. 114-1-1 de la loi de 2005 stipulant : «Les besoins de compensation sont inscrits

dans un plan élaboré en considération des besoins et des aspirations de la

personne handicapée tels qu'ils sont exprimés dans son projet de vie, formulé par la

personne»?

Ce guide, qui ne fait jamais allusion en 40 pages au « projet de vie » de la personne,

consiste très clairement à restreindre son accompagnement à une liste limitative de gestes qu'elle ne peut accomplir, comme si ces gestes-là pouvaient être ramassés dans un temps donné et unique, et comme si « la vie » des personnes concernées pouvait se résumer aux seuls besoins liés à leur survie : manger, se laver, se vêtir, éliminer et se déplacer dans leur logement. Et encore ! Qu'on en juge pour exemple

Boire : 2 minutes, 5 fois par jour

Se déplacer (en fauteuil roulant) aller/retour aux toilettes : 2 minutes 5 fois par jour

Vidanger la poche, le bassin ou l'urinal : 2 minutes 2 fois par jour (est-ce à dire que

la personne doit réutiliser le bassin ou l'urinal non vidé ?!).

Alors même que nos Associations n'ont eu de cesse de prôner une véritable politique

ambitieuse pour l’autonomie des personnes quels que soient la dépendance et l’âge, une vie libérée par la reconnaissance de la personne en tant que sujet ;

Alors même que nos Associations n'ont eu de cesse de prôner l'évolution culturelle qui en découle, cela passant nécessairement par la libre circulation et par le libre choix du lieu de vie, l’évolution et le décloisonnement des métiers de l'accompagnement, le décloisonnement des esprits;

Nous assistons tout à l'inverse à une politique discriminante, absurde et

ahurissante, ayant comme résultante une existence imposée et fractionnée, génératrice de déshumanisation, de maltraitance et de pathologies psychiques.

En conséquence, face à des mesures régressives qui remettent en cause les

notions d'égalité, de participation, et de citoyenneté des personnes handicapées, nous exigeons :

L’abrogation de l’Ordonnance du 26 septembre 2014 ratifiée le 5 août 2015

portant sur l'accessibilité du cadre bâti et des transports, hors de quoi aucune

véritable mobilité et citoyenneté n'est possible.

Une alliance réfléchie des règles de sécurité et d’accessibilité pour une libre

circulation sans mise en danger des personnes.

Le respect de l’esprit de la loi de 2005: la fin de l’expérimentation et

l’interdiction du guide CNSA, la sortie des textes réglementaires permettant la prise en compte des activités ménagères, de l’aide à la parentalité, des aides à la

communication, et l’octroi d’aides humaines qui permettent, quelle que soit la

 dépendance de pouvoir véritablement vivre sa vie.

L’application des textes réglementaires concernant l'obligation pour les MDPH

d’élaborer et de communiquer un PPC Plan Personnalisé de Compensation,

d'inviter les personnes à venir s'exprimer en CDAPH lors de l'examen de leur dossier, conformément à l'article L. 241-7 de la loi du 11 février 2005.

La mise en place de MDA uniquement lorsque la convergence des droits à la

compensation du handicap visant à une Vie Autonome quelque soit l’âge sera

effective, perspective décidée par le législateur en 2005

Ne doutant pas que vous soyez tout aussi frappés que nous par l’absurdité et par

 l’extrême nocivité à l’œuvre, masquées par des discours prônant la bientraitance, tout en organisant la maltraitance, heurtant les personnes concernées de plein fouet, et du même coup réduisant au néant une société humaine qui reste à construire, nous vous prions de croire, Monsieur le Président de la République, Mesdames et Messieurs, à l'expression de nos salutations distinguées.

Coordination Handicap et Autonomie

Rédigé par Andy Cap

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